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LA DIME EST-ELLE BIBLIQUE ET D’ÉGLISE ?

26 février 2019

CONTRIBUTION DE L’ABBÉ JULES PASCAL COLY DU DIOCÈSE DE SAINT-LOUIS

Depuis un certain temps et davantage au cours du carême, plusieurs fois nous avons été interpellé sur la dîme par des paroissiens de beaucoup de diocèses du Sénégal. Pour la plupart, ils sont désorientés par les réflexions entendues de leurs prêtres sur cette pratique. Selon certains de ces prêtres, la dîme n’est pas biblique, pour d’autres elle n’est pas d’Église et pour d’autres encore elle a été abolie par la venue de Jésus. Toujours selon leurs raisonnements, ce sont les communautés nouvelles, le plus souvent issues du renouveau charismatique, qui l’ont inventée. Certains vont même jusqu’à dire qu’elle ne figure nulle part dans la Bible et/ou à la limite que dans l’Ancien Testament.

Et récemment, le 13 mars 2014, dans une radio de la place, nous avions entendu, de nos propres oreilles, un révérend père, ancien curé d’une grande paroisse, estimé au-delà de son diocèse, abonder dans le même sens, argumentant qu’elle n’est pas d’Eglise. C’est pourquoi nous pensons utile d’apporter une contribution sur le sujet afin de permettre aux fidèles d’être édifiés sur cette pratique. Aujourd’hui, il nous plait de donner notre avis sur ce sujet. C’est quoi la dîme ? En quoi consiste-t-elle ? La Bible en parle-t-elle ? Quid de Jésus ? L’Eglise en avait-t-elle parlé autrefois et l’avait-elle pratiquée ? En parle-t-elle aujourd’hui et la pratique encore? Les réponses à toutes ces questions constituent notre contribution à ce débat.

1/ c’est quoi la dîme ?
La dîme est un ordre divin adressé au peuple d’Israël, peuple de la première alliance entre Dieu et l’humanité, l’ordonnant de contribuer à la prise en charge des lévites(les prêtres aujourd’hui). Par extension, cet ordre divin s’adresse aujourd’hui à tous ceux qui se reconnaissent membres du peuple de Dieu dans l’Eglise. La dîme est supérieure comparativement à l’offrande et au denier du culte, à notre humble avis, car étant une loi divine. L’offrande est une invitation divine à la charité matérielle ou financière à l’endroit du prochain et le denier du culte est une loi ecclésiale sur la participation économique des laïcs en faveur de leur paroisse. S’agissant de ce dernier, c’est l’Eglise qui demande à ses fidèles de participer financièrement à la hauteur d’une journée de travail par an à sa mission, à ses œuvres et à l’entretien de ses pasteurs.

2/ en quoi consiste la dîme ?
La dîme consiste à prélever une partie de ses revenus, le 1/10ème, pour la donner à l’Eglise via ses lévites (les prêtres).Par extension aujourd’hui, nous constatons que des œuvres sociales de l’Eglise comme la Caritas, les dispensaires et même les écoles en bénéficient, de même des personnes spécifiquement tournées dans la prière pour leur prochain. Des fidèles en font aussi profiter à des églises, la leur ou d’autres, en leur achetant des hosties, du vin de messe, des linges, des habits ou des objets du culte. Toujours dans la pratique, nous notons qu’elle peut se donner hebdomadairement, mensuellement, trimestriellement, annuellement, triennalement. L’essentiel n’étant pas dans la périodicité, mais dans le respect de consacrer le 1/10ème de ses gains à l’Eglise ou à ses pasteurs.
Abraham (Genèse 14,17-20) et Jacob (Genèse 28,20-22) ont eu à la donner, mais elle n’était pas encore instituée en loi. Ce n’était juste qu’une offrande volontaire. Avec Moïse par contre, la pratique devint une loi divine et nous l’appelons la « dîme du sanctuaire ». Elle appartient au Seigneur (Lévitique 27,30-33), demeure liée à l’aspect sacerdotal (nombre 18 :8,21-29) et a un caractère sacré. Dans le livre du Deutéronome (12:17; 14 :23; 26:12ss), Dieu promet de désigner le lieu unique du culte où il veut être adoré: dans un premier temps, devant le Tabernacle contenant l’Arche et les Tables de la Loi; puis, ultérieurement, à Jérusalem, au Temple.

3/ les textes bibliques fondateurs de la dîme

Il s’agit essentiellement de textes de l’Ancien Testament.
Deutéronome14,22+
« Chaque année, tu devras prendre la dîme de tout ce que tes semailles auront rapporté dans tes champs et en présence de Yahvé ton Dieu, au lieu qu’il aura choisi pour y faire habiter son nom, tu mangeras la dîme de ton froment, de ton vin nouveau et de ton huile, les premiers-nés de ton gros et de ton petit bétail. »
Deutéronome 14,28-29
« Au bout de trois ans, tu sortiras toute la dîme de tes produits… Alors viendront le lévite (Prêtre), qui n’a ni part ni héritage avec toi, l’étranger, l’orphelin et la veuve, qui sont dans tes portes, et ils mangeront et se rassasieront, afin que l’Éternel ton Dieu te bénisse… »
Malachie 3.8-9 : « Un homme trompe-t-il Dieu ? Car vous me trompez, et vous dites : En quoi t'avons-nous trompé ? Dans les dîmes et les offrandes. Vous êtes frappés par la malédiction, et vous me trompez, la nation toute entière. »
Malachie 3.10-12 : « Apportez à la maison du trésor toutes les dîmes, afin qu'il y ait de la nourriture dans ma maison. Mettez-moi de la sorte à l'épreuve, dit l’Éternel des armées, et vous verrez si je n'ouvre pas pour vous les écluses des cieux, si je ne répands pas sur vous la bénédiction en abondance. Pour vous je menacerai celui qui dévore, et il ne vous détruira pas les fruits de la terre, et la vigne ne sera pas stérile dans vos campagnes, dit l’Éternel des armées. Toutes les nations vous diront heureux, car vous serez un pays de délices, dit l’Éternel des armées».
Lévitique 27,30 : « Toute dîme du pays prélevée sur les produits de la terre ou sur les fruits des arbres appartient à Yahvé ; c’est une chose consacrée à Yahvé».
Lévitique 27,32 : « En toute dîme de gros et petit bétail, sera chose consacrée à Yahvé le dixième de tout ce qui passe sous ta houlette ».
Nombres 18 : 21-26 « Je donne comme possession aux fils de Lévi toute dîme en Israël, pour le service qu'ils font, le service de la tente d'assignation. Les enfants d'Israël n'approcheront plus de la tente d'assignation, de peur qu'ils ne se chargent d'un péché et qu'ils ne meurent. Les Lévites feront le service de la tente d'assignation, et ils resteront chargés de leurs iniquités. Ils n'auront point de possession au milieu d'Israël : ce sera une loi perpétuelle parmi vos descendants. Je donne comme possession aux Lévites les dîmes que les enfants d'Israël présenteront à l'Éternel par élévation ; c'est pourquoi je dis à leur égard : Ils n'auront point de possession au milieu des enfants d'Israël. L'Éternel parla à Moïse et dit : Tu parleras aux Lévites, et tu leur diras : Lorsque vous recevrez des enfants d'Israël la dîme que je vous donne de leur part comme votre possession, vous en prélèverez une offrande pour l'Éternel, une dîme de la dîme».

4/La dîme dans le Nouveau Testament
La pratique de la dîme a-t-elle été évoquée par Jésus durant son ministère terrestre ? Il nous apparait ici important d’élucider cette question. Pour ce faire, il nous plaira tout d’abord de relever les passages évangéliques qui en parlent ou en font allusion et en second lieu de les commenter.
a/ Les références bibliques
Mathieu 23,23 « Malheur à vous, scribes et Pharisiens hypocrites ! Parce que vous payez la dîme de la menthe, de l’aneth et du cumin, et que vous laissez ce qu’il y a de plus important dans la loi : le droit, la miséricorde et la fidélité ; c’est là ce qu’il fallait pratiquer sans laisser de côté le reste ».
Luc 18, 11-12 « Mon Dieu, je te rends grâce de ce que je ne suis pas comme le reste des hommes…Je jeûne deux fois la semaine, je donne la dîme de tout ce que j’acquiers.»
Mathieu 23,1 : « les scribes et les pharisiens enseignent dans la chaire de Moïse. Pratiquez donc et observez tout ce qu’ils peuvent vous dire ».
L’épitre aux Hébreux en parle au chapitre 7,4-10, mais c’était quand la dîme n’était pas encore instituée en loi divine. Nous n’aurons donc pas à le commenter.
b/ commentaire des références bibliques
Mathieu 23,23 : Dans ce verset, le mot de Jésus n’abondait pas dans le sens de remettre en question cette pratique de la dîme, mais d’interpeller les pharisiens et les scribes qui mettaient au second plan les valeurs et les vertus essentielles que sont le droit, la miséricorde et la fidélité. Ces valeurs et vertus sont, selon son avis, primordiales devant toute autre pratique. Elles sont premières pour toute personne qui est un enfant de Dieu. La primauté d’une pratique sur une autre ne signifie pas alors l’annulation, la caducité ou la méprise de cette dernière. La finale du verset 23 « sans laisser de côté le reste » l’atteste et le confirme. Jésus est donc, à notre avis, bien favorable à la pratique de la dîme.
Luc 18, 11-12 : ce texte qui fait écho de la montée du pharisien et du publicain au temple pour la prière a rapporté aussi la pratique de la dîme du temps de Jésus. Toutefois, il n’était pas une occasion pour Jésus de décrier cette pratique, mais une toute autre chose, en l’occurrence la fanfaronnade du pharisien dans sa prière. L’évocation de cette pratique dans ce passage peut bien montrer que Jésus l’approuve en soi et trouve que c’est une bonne chose que de mettre en pratique ce commandement divin.

Mathieu 23,1 : Dans ce passage, Jésus ordonne à ses disciples de pratiquer TOUT ce que pharisiens et scribes enseignaient. Et bien sûr dans ce TOUT, nous pouvons le deviner, peut figurer en bonne place la pratique de la dîme. Jésus l’avait-t-il demandé pour faire plaisir à ses détracteurs ? Le peu que nous connaissons de l’homme Jésus ne nous poussera pas à abonder dans ce sens. Car il n’était pas du genre à sympathiser ou à se complaire avec le faux. S’il a donc demandé de pratiquer TOUT ce qu’enseignent ses détracteurs pharisiens et scribes, c’est tout simplement parce qu’il savait que leur enseignement était conforme avec la parole divine. Pour faire court, il n’est pas exagéré, selon nous, de dire que les croyants du Nouveau Testament ont bel et bien reçu le commandement de pratiquer la dîme. Mais qu’en pense l’Église ?

4/ La dîme dans l’Église hier et aujourd’hui ?

a/ la dîme dans L’Église hier
Un rapide survol de l’histoire de l’Église révèle des aspects intéressants liés à la dîme.
Si dans l'Église primitive, semble-t-il, il ne s'agissait pas d'une règle généralisée, c’était tout le contraire dans l'Occident médiéval et chrétien. La dîme y a été une institution essentielle pour l'économie : c'était la plus lourde de toutes les taxes et celle perçue la première avant les autres, directement dans les champs, au moment de la récolte. Dans de nombreux villages, la grange où on amassait les dîmes était le bâtiment le plus grand après l'église paroissiale.
La première législation en matière de dîme remonte, semble-t-il, à la France mérovingienne, avec une lettre écrite par les Évêques réunis en assemblée à Tours en 567 et avec le Concile de Mâcon de 585. Successivement le paiement de la dîme fut rendu obligatoire dans tous les pays de la chrétienté par les décisions de l'autorité ecclésiastique. Charlemagne reconnut à l'Église le droit de prélever la dîme, ce qui convertit la dîme en loi de l'État.
Initialement, elle était payée à l'Évêque, ensuite directement au curé, mais très vite la dîme fut souvent aliénée aux feudataires locaux en échange de leur protection. Pour réagir à ces abus, le Troisième Concile du Latran (1179) décréta de ne plus aliéner les dîmes à des laïcs sans le consentement explicite du Pape. Au temps de Grégoire VIII, on institua la "dîme saladine", qui devait être payée par ceux qui ne participaient pas directement à la Croisade en Terre Sainte.
Au 13e siècle, se dessina un mouvement de résistance à la dîme ; la mentalité évoluait. Tous n'y voyaient pas un impôt de droit divin. Diverses positions s'affrontaient et celle de l'Église perdait du terrain (Dom Charles Poulet, Histoire de l'Église, tome 1, P. 276-277).
Avec la Révolution Française, la dîme fut abolie, avec d'autres privilèges, le 4 août 1789. La Constitution Civile du Clergé de l'année suivante adopta, à sa place, le paiement par l'État d'un salaire pour le clergé.
Ce genre d'évolution s'étendit par la suite aux autres États, conduisant graduellement à la disparition de la dîme comme loi ecclésiastique sous-tendue par le commandement divin.

b/ La dîme dans l’Église aujourd’hui
Aujourd’hui, dans les écrits du Magistère de l’Église depuis Vatican II, que ce soit dans les écrits des papes, le droit canon, le catéchisme de l’Église catholique, il n’est nulle part mentionné le paiement de la dîme. Et quand le catéchisme de l’Église catholique (n°2449) en a parlé, c’était juste pour dire qu’elle réponde à l’exhortation du Deutéronome. Tout au plus, en matière économique, l’Église d’aujourd’hui a simplement réaffirmé que « Les fidèles sont tenus par l'obligation de subvenir aux besoins de l’Église afin qu'elle dispose de ce qui est nécessaire au culte divin, aux œuvres d'apostolat et de charité et à l'honnête subsistance de ses ministres. »canon 222,§1 ou bien encore que « Les fidèles ont encore l'obligation de subvenir, chacun selon ses capacités, aux nécessités matérielles de l'Église » catéchisme de l’Église catholique (n° 2043).
Quant au comment, plusieurs pistes, qui ne sont pas forcément en lien avec la Bible, sont relevées dans ses écrits actuels comme les quêtes, les offrandes de messes, le denier du culte, les legs, les donations. Quant à la dîme, qui figure pourtant dans son livre de référence, elle est tout simplement zappée. La Révolution Française est passée par là, diraient certains.
Nonobstant ce silence du Magistère de l’Église, beaucoup d’Églises et de fidèles la pratiquent aujourd’hui. Non loin du Sénégal, précisément dans notre sous-région ouest-africaine, ils sont nombreux les prêtres de l’Église catholique qui encouragent à la mettre en pratique, tout comme les fidèles qui l’accomplissent. Au Sénégal, notre pays, un petit nombre de fidèles s’y essaie tant bien que mal, avec réussite quelques fois dans la régularité. Et tous ensemble, qu’ils soient d’ici ou d’ailleurs, ils sont conscients qu’ils sont en train de pratiquer un commandement divin que Jésus n’est pas venu abolir, mais accomplir (cf. Mt5, 17).
L’Église ou précisément ses autorités, les auraient-elles laissés continuer cette pratique si réellement elle n’était pas biblique ou d’Église ? Nous ne le pensons pas. Car le Magistère de l’Église a toujours eu le courage de dénoncer ce qui est, ad intra ou ad extra, contraire à son enseignement. Et si l’excommunication s’imposait pour un enseignement ou une pratique de ses membres, il ne s’en priverait pas. Son silence dans ses écrits actuels sur cette pratique de la dîme ne saurait donc signifier qu’elle n’est pas d’Église.
C’est vrai que l’Église peut évoluer avec son temps et éviter les excès ou les détournements d’intention. Mais peut-elle du jour au lendemain, surtout lorsqu’il s’agit d’un commandement divin, dire qu’il n’est plus d’Église ? Le débat reste ouvert ici.

Conclusion
Les points de vue sur la pratique de la dîme ont longtemps existé et continueront sans aucun doute. Nous concernant, en nous appuyant sur notre livre de référence la Bible et l’histoire de l’Église sur cette pratique, nous demeurons convaincus qu’elle est biblique. Elle n’est par ailleurs, en aucun point, contraire à l’enseignement de Jésus que l’Église est appelée à perpétuer. De ce fait, nous sommes d’avis qu’elle est d’Église. Certes si l’on n’y prend pas garde, l’aspect récompense qui est attachée à sa pratique peut fausser l’esprit pour lequel les fidèles du Christ sont invités à l’accomplir. Mais là n’est pas notre problématique.
Nous encourageons alors les fidèles de notre Église du Sénégal qui la pratiquent à continuer et cela dans un esprit désintéressé. Quant aux autres qui étaient encore dans le doute, qu’ils sachent que l’obéissance à la parole divine ne fait point de mal, mais bien le contraire. Car le oui à Dieu appelle toujours ses bénédictions, pas uniquement dans cet aspect dîme, mais également dans tous ses autres commandements. Et pour les réfractaires de cette pratique, nous voudrons seulement dire que leur Église a besoin de leur soutien. S’ils n’acceptent pas de la soutenir via ce commandement divin de la dîme, ils peuvent toujours le faire via d’autres moyens. Tout pour la gloire de Dieu.
Que sa bénédiction atteigne tous ses enfants !

Abbé Jules Pascal COLY
Vicaire à la paroisse Sainte Thérèse
BP 73 Louga
Diocèse de Saint-Louis
e-mail : jpcoly@hotmail.com