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Vision théologique contre l'initiation Diola

UN CHRÉTIEN PEUT-IL ASSOCIER L’INITIATION AU BOIS SACRE A LA FOI EN JESUS-CHRIST ?

Telle est, nous semble-t-il, la question qui fait l’actualité de la vie ecclésiale de notre Sénégal. Sans y faire attention, j’en avais déjà parlé avec un vieux Manjac qui brandissait comme argument principal, le fait que Jésus se soit lui-même soumis aux pratiques traditionnelles de la foi juive. Est-ce là un argument suffisant pour admettre dans le vécu de notre foi chrétienne des pratiques initiatiques traditionnelles ? C’est la problématique de la compatibilité ou de l’incompatibilité de l’initiation au bois sacré avec la foi en Jésus-Christ qui anime les opinions au sein du peuple chrétien sénégalais.

Dans notre modeste contribution à ce débat très important pour un vécu authentique de la foi chrétienne en homme africain, sénégalais et diola, nous ne prétendons pas nous engagés dans un positionnement pour ou contre l’initiation diola au bois sacré. Notre approche de la question se veut être tout d’abord une tentative d’élucidation causale du phénomène que nous qualifions volontiers d’ « hybridisme » africain et dont le syncrétisme qui nous préoccupe n’est que la manifestation dans la sphère religieuse. Ce n’est que par la suite que nous pourrons apporter des éléments d’éclaircissement à la lumière de la parole de Dieu et de la doctrine chrétienne.

L’intérêt de notre approche est de nous éviter de tomber dans un débat stérile dans lequel le fossé ne fera que s’approfondir entre défenseurs chevronnés et opposants farouches de l’initiation traditionnelle. Or ce débat est d’autant plus important qu’il mérite un apport théologique et pastoral plus qu’une simple option hâtive pour ou contre. Il faut dépassionner le débat pour s’inscrire dans un processus de dialogue entre le vécu de la foi et les pratiques traditionnelles afin de libérer les consciences.

    I. Le phénomène d’ « hybridisme » et ses conséquences dans l’homme africain

Même après un siècle et demi de christianisme, nous pouvons constater sans trop de leurre que l’Afrique se trouve encore confrontée à une situation ou un contexte d’évangélisation quelque peu semblable à l’époque des Pères de l’Église où l’Évangile devait être embrassé dans les cultures et traditions des peuples. L’énorme labeur des Pères a été en partie, de permettre une franche rencontre entre la nouveauté évangélique et les diverses pratiques des peuples grâce à un effort théologique et pastoral. Cela a permis à l’Évangile d’épurer de l’intérieur ces pratiques culturelles et de s’enrichir de leurs acquis positifs en assumant ce qui en elles, relevait des semences du Verbe (semina verbi) dispersées dans toutes les cultures.

Malheureusement, le contexte colonial de l’évangélisation de notre cher continent n’a pas permis ce processus d’intégration et de conversion de nos traditions culturelles. Avec le fameux principe de la « tabula rasa », un travail de base a été télescopé tant au niveau socio-culturel, politico-économique que religieux. Tout ce qui était local a été qualifié de barbare et balancé sans le moindre égard. En tout cela, le mal est que pour longtemps et même inconsciemment jusqu’à nos jours, beaucoup d’Africains ont cru véritablement à cet a priori négatif au point que seul n’est digne et humain que ce qui est occidental. C’est en cela que consiste véritablement, nous semble-t-il, le drame de l’Homme Noir.

Or, il est communément admis que lorsqu’on offense ou oppresse la nature elle revient au galot pour prendre sa revanche. Aussi, avec la prise de conscience de sa dignité, l’homme noir tente de récupérer soit de manière raisonnable soit dans un repli identitaire, tout ce qui de lui avait été injustement mis à la poubelle.

Il résulte de tout cela une certaine dichotomie, un disfonctionnement, un dédoublement personnel, psychologique et spirituel, un certain « hybridisme » dans l’homme Africain. Il se trouve alors, faute d’intégration harmonieuse, partagé et tiraillé sous tous les aspects de son existence et dans le cas qui nous préoccupe particulièrement, entre la nouveauté chrétienne et son héritage culturel et traditionnel. S’il s’agit là d’un problème d’ordre général lié au processus de conversion qu’exige la nouveauté évangélique, le cas spécifique de l’enracinement de l’Évangile dans nos cultures africaines manque encore cependant d’un travail de base qui n’a pas été fait. Pour remédier au phénomène de syncrétisme initiatique, rituel et religieux qui se passe dans la conscience et la vie des fidèles chrétiens de notre Église, il faut réaliser ce travail théologique et pastoral afin de saisir le sens, la valeur théologique de telle ou telle pratique et de voir sa possible compatibilité avec la pratique de l’Évangile. C’est là une exigence même de la loi de l’incarnation qu’on ne peut furtivement ou gauchement nier ni en abuser exagérément. Car si le Christ a pleinement assumé notre humanité ou l’homme entier excepté le péché, alors notre pratique de l’Évangile doit assumer ce qui est assumable de nos traditions ; à moins qu’on nous fasse croire que tout n’y est que péché. Ce qui à notre avis n’est pas le cas. Tant que cette loi de l’incarnation ne se réalise pas pour la conciliation, l’accord et l’intégration entre la nouveauté chrétienne et le vécu traditionnel, le croyant africain restera en lui-même divisé et ballotté selon le poids social et psychologique. Mais signalons tout de suite que ce travail n’est pas du jour au lendemain, c’est tout un processus qui doit s’inscrire dans le temps ; et ce processus est déjà amorcé à travers le mouvement d’inculturation bien qu’il présente encore d’énormes difficultés. Vouloir s’y prendre précipitamment conduit à des catastrophes. Si certains disent avec raison que l’Évangile ou la foi demande de faire un saut qui est de l’ordre d’une certaine radicalité, il faut dire qu’avant d’être un saut dans le vide, la foi est avant tout un cheminement ; et ce n’est qu’au terme qu’il y a un saut décisif. L’exemple éloquent du saut de saint Paul à partir de son expérience unique sur le chemin de Damas ne peut être isolé de tout le cheminement passé de sa vie qui n’a été que recherche de la vérité de Dieu. Il faut du temps pour être chrétien, pour être tout entier et uniquement au Christ et pour vivre effectivement et pleinement de Lui.

Le problème ainsi élucidé, nous permet d’apporter des éléments d’éclaircissement au moyen de la parole de Dieu et de la doctrine chrétienne.

II. Points d’éclaircissement

La problématique de la compatibilité ou de l’incompatibilité de l’initiation traditionnelle avec la foi en Jésus-Christ peut avoir une tentative de réponse à deux niveaux : doctrinal ou théologique et pastoral. Ces deux niveaux doivent être conjugués ensemble pour parvenir à une solution ecclésiale équilibrée du problème. Car l’ordre principiel doit éclairer l’ordre pratique de la vie sans que celle-ci émousse celle-là.

Le chemin ou la raison théologique qu’adoptent exclusivement ceux qui s’opposent aux pratiques initiatiques traditionnelles, s’appuie sur le principe de foi selon lequel en Christ se trouve désormais toute plénitude à laquelle nous sommes associés (Cf. Col 2, 10). Il est en effet l’unique Médiateur (Cf. 1Tm 2, 5) qui a définitivement accomplit en son unique sacrifice la réconciliation avec Dieu ; « car par une oblation unique il a rendu parfait pour toujours ceux qu’il sanctifie » (He 10, 14). Dans beaucoup d’autres passages (Ph 3, 2-4ss ; Eph 4, 17. 20-23 ; Ga 5, 1-4 ; Col 2, 20-23 ; 3, 1-3 ; etc.), saint Paul nous prouve la plénitude et la suffisance de la foi en Jésus-Christ. Lui-même n’a –t-il pas considéré tout son héritage et avantage culturel comme balayures face au Saint Nom du Christ ?

Ainsi, la raison théologique nous donne d’écarter par principe toute nécessité de recourir quelque initiation traditionnelle quel qu’elle soit. Car c’est désormais en Christ que nous trouvons notre processus de maturation humaine et spirituelle. Il n’est donc pas admissible pour le fidèle du Christ de faire des pratiques traditionnelles une nécessité pour son accomplissement humain car désormais c’est en Christ que nous sommes accomplis. N’est-ce pas là le même problème qui s’est posé trop tôt à la première communauté chrétienne ; à savoir la nécessité de la circoncision ? Si derrière le mot compatibilité il y a l’idée de d’une nécessité ou d’un complément par rapport à la foi en Christ, il y a en ce moment une erreur doctrinale très grave qui relève d’une méconnaissance du mystère du Christ, de la portée ou de la valeur de son œuvre salvifique, d’une ignorance de la puissance humanisante de son Évangile et d’une déficience ou carence catéchétique.

Si par ailleurs, nous sommes convaincus que toute plénitude humaine se trouve désormais en Jésus-Christ et que c’est en lui seul que nous devons chercher et atteindre notre plénitude d’êtres humains, alors n’est compatible avec le vécu de la foi en Jésus-Christ que ce qui contribue à nous rendre plus hommes, pleinement et totalement humains. Cette plénitude humaine au-delà de toute distinction socio-culturelle consiste en la réalisation de notre vocation et de notre dignité d’homme et de femme aimant, cherchant et vivant dans la vérité de son être.

Dès lors, la question qui se pose face aux pratiques initiatiques traditionnelles n’est pas s’il faut ou non les pratiquer mais plutôt la question du « pourquoi ». Autrement dit, en quoi ces pratiques contribuent-elles à nous faire grandir humainement, s’il est vrai que la foi chrétienne n’assume que cela? Si au contraire, ces pratiques m’aliènent à travers ses contraintes sociales, rituelles et sacrificielles, n’y a-t-il pas là un problème. Faut-il pratiquer les choses simplement parce que c’est la tradition ou parce que qu’elles nous rendent plus humains ?

Bref, l’engouement pour la revalorisation de nos traditions doit être accompagné d’un discernement car il ne s’agit nullement d’une simple reproduction mais de la saisie consciente et personnelle de la portée salvifique et ennoblissante de ces pratiques. Or en son état actuel, l’initiation traditionnelle a-t-elle encore des richesses éducatives authentiques et enviables qu’on ne saurait avoir autrement que d’y aller ? Peut-elle encore aujourd’hui offrir à la foi chrétienne quelque chose d’authentique à assumer pour la réalisation et la plénitude de l’humanité en nous ? Face à ces interrogations, nous ne saurions donner une réponse affirmative si nous savons que dans leur état actuel les pratiques traditionnelles se sont vidées de leur contenu ou de leur valeur et qu’il n’en reste que la forme extérieure. En effet, si dans ma culture de la Guinée forestière, nos arrières grands parents entraient dans la forêt sacrée pour sept (7) ans et en sortaient comme des hommes mûrs de la société sur tous les plans, ce temps de formation plénière a progressivement varié de trois à un an jusqu’ à se réduire aujourd’hui à un mois ou trois semaines. Que peut-on y acquérir d’essentiel pour notre croissance humaine ou personnelle en ce lapse de temps ? Est-ce que j’y vais simplement parce que c’est de coutume ou parce que c’est par conviction motivée, éclairée et justifiable ? Telle est la question de la nécessité et de la validité humaine des initiations traditionnelles sans même se pencher sur ces conséquences rituelles dans le vécu de notre foi en Jésus-Christ.

La voie ou la raison pastorale, celle des défenseurs des pratiques initiatiques traditionnelles, se justifie surtout par la sacrée loi de l’incarnation qui découle de l’incarnation même du Fils de Dieu dans notre condition humaine. Il s’est fait homme en assumant tout en l’homme excepté le péché. Ainsi, de même, la foi chrétienne est un don du Ciel qui vient embraser toute la richesse culturelle de l’humanité pour l’élever à sa perfection. La vie chrétienne est donc un échange merveilleux entre le divin et l’humain, entre la foi et la culture. Notre foi en Christ n’est en soi ni culture ni tradition mais elle assume le contexte socio-culturel et politico-économique de l’homme dans l’espace et dans le temps. Ce principe exige donc de tout croyant de vivre sa foi avec tout ce qu’il est et tout ce qu’il a, non pas de manière automatiquement bornée ou idéologique mais avec discernement et sagesse. Ainsi nous voyons que si nous sommes tous d’accord sur ce principe ou cette loi de l’incarnation, les limites ou les mesures concrètes et pratiques à envisager ne font pourtant pas l’unanimité ; et c’est toute la difficile problématique de l’inculturation. Loin de canoniser entièrement toutes nos pratiques traditionnelles ou de « traditionnaliser » entièrement l’Evangile, le processus d’inculturation

Nous pouvons donc comprendre le souci pastoral des âmes qui pousse certains pasteurs de l’Eglise à aller jusque dans l’initiation au bois sacré diola pour encadrer les chrétiens qui y sont afin de les préserver d’être entrainés loin de leur foi. Mais une telle manière risque toujours de devenir un alibi pour ceux qui ont la conscience faible de justifier leur participation à ces pratiques. Aussi, en aucun cas un pasteur d’Eglise ne pourrait se permettre d’engager les fidèles du Christ dans ces initiations si ce n’est de l’accord de l’Eglise.

Par ailleurs, justifier notre attachement aux pratiques traditionnelles en partant de l’exemple du Christ n’est pas tenable. Evoquer l’exemple de Paul en Ac 16, 1- 3 et 21, 22-26, n’est pas non plus raisonnable quand on sait qu’il ne s’agissait pour l’apôtre ni d’une conviction ni d’une pratique à faire simplement par tradition mais bien plus d’une stratégie pastorale. C’est ce souci pastoral seul qui doit animer notre attention aux pratiques initiatiques traditionnelles et rien d’autre que cela. Autrement dit le Christ nous suffit pleinement et nous ne finirons jamais de nous initier dans sa vie, la vie nouvelle qu’il nous a donnée au prix de sa passion et de sa mort sur la Croix. Attention ! Que notre manière de parler de nos traditions ou de les vivre n’altère donc en rien la valeur suffisante, unique et salvifique de la foi en Jésus-Christ.

A lui la gloire, le règne et la puissance pour les siècles des siècles, Amen !